Nous sommes un collectif d’étudiants•es, travailleurs•euses, militant•e•s, français•es et internationaux, marqués•es par les nombreuses luttes ouvertes depuis le printemps 2016 et la contestation de la loi Travail, qui fut pour nombre d’entre nous un moment de redécouverte de l’autonomie.
À la suite du mouvement étudiant du printemps 2018 (contre le dispositif Parcoursup et la loi ORE), c’est au vu de ses échecs comme de ses réussites que nous avons décidé de nous structurer au sein d’un collectif indépendant, autonome et inter-fac. Le mouvement d’occupation des facs l’année dernière s’est caractérisé par une tentative de réalisation pratique de l’autonomie. Celui-ci nous a permis de constater la nécessité d’espaces d’organisations et a initié chez de nombreux·ses militants·es plusieurs réflexions sur la domination réelle en espace urbain. Mais nous avons aussi constaté ses limites : manque de réflexion sur l’exploitation, cloisonnement vis à vis de l’extérieur, manque de coordination entre les espaces mobilisés, etc.
L’autonome 2018, marqué par la mobilisation des Gilets Jaunes mais aussi par celle des Carrés Rouges nous aura appris deux choses : d’une part qu’il est nécessaire de sortir d’un militantisme ritualisé et donc sclérosé (AG peu combatives, blocages désespérés, manifestations aux trajets convenus dans le Vème). Et d’autre part, qu’il est temps de se structurer au sein d’un collectif, pour devenir force d’initiative politique dans un secteur aussi fragmenté que la fac.
La question qui nous motive est donc la suivante : Quels pourraient être les contours d’une militance autonome – qui ne soit pas uniquement défensive, mais qui se donne au contraire pour objectif la construction d’un contre-pouvoir durable – au sein des universités franciliennes ?
Ceci est notre point de départ : l’université n’est rien d’autre qu’un espace de mise au travail et d’assignations à des places sociales. L’université productive, inscrite dans la métropole, assure la distribution des savoirs utiles au marché, et c’est dans ce cadre que nous souhaitons la combattre.
NOS OBJECTIFS
Un de nos objectifs premiers est de partager nos réflexions pour briser l’isolement d’une fac à l’autre et ainsi tenter de construire une puissance commune d’intervention politique, dans les facs comme en dehors.
Pour ce faire, on veut porter un discours connecté aux réalités des problématiques étudiantes, en s’organisant avec celles et ceux qui ne vivent pas l’expérience d’une « université ouverte et émancipatrice », mais au contraire l’expérience de l’exploitation et de la précarité estudiantine.
Notre engagement vient de nos difficultés à nous nourrir, à nous loger, à trouver une bourse, un contrat, un sens dans notre “orientation” malgré l’absence de postes, mais aussi celles que l’on rencontre dans nos jobs étudiants pourris, dans nos stages, et dans nos facs en général, qui ne nous enseignent plus qu’un savoir lisible pour les entreprises… Tout cela sans aucune reconnaissance !
Nous voulons au contraire participer à rendre visible la somme de notre travail quotidien, en montrant tout ce qu’on participe à faire tourner, tout ce qu’on produit gratuitement et pointer du doigt ceux qui en profitent.
Notre temps dit “d’étude” n’est pas séparé de notre temps de travail. L’université est une machine à précarité comme une autre.
À l’heure des stages obligatoires, des diplômes financés par des entreprises privées, des contrats ultra flexibles sous payés, la fac n’est ni un lieu d’enrichissement intellectuel, ni un îlot hors des intérêts privés… ni même un espace de sociabilité heureux ! C’est un engrenage inclus dans les dynamiques économiques et disciplinaires.
À ce titre, il s’agira de travailler l’ouverture aux autres composantes de l’Université : les chercheurs et chercheuses précaires, les administrations qui reposent sur un travail largement féminisé, les agents non-blancs sous-traités…
L’université est donc loin d’être étrangère aux violences sexistes et sexuelles, au racisme institutionnel, aux segmentations sociales et à la précarité du monde du travail, elle en est complice et acteur ! Il existe un réel continuum entre l’intérieur et l’extérieur de la fac, où persistent les mêmes dynamiques : mise en concurrence, précarisation, flicage, mépris…
Pour toutes ces raisons, nous voulons contribuer à l’émergence d’un mouvement combatif et plus seulement défensif, qui porte sur le terrain même de l’Université.
On ne veut plus militer pour préserver jalousement les acquis des “Trente Glorieuses”, pour défendre un modèle contre les assauts des différents gouvernements . Ces postures peuvent être compréhensibles, dans une période d’intenses récessions sociales, mais on ne veut plus s’en satisfaire. Cet angle défensif ne produit que défaites sur défaites, mais surtout rend aveugle aux nouveaux usages de la fac. Le discours surplombant de défense des acquis n’arrive pas à s’articuler à des pratiques de résistance, puisqu’il méconnaît jusqu’au terrain depuis lequel lutter. Pour cela, il est nécessaire d’ancrer notre lutte dans le quotidien et de construire des revendications allant au-delà des postures morales auxquelles on s’est habitué jusque là.
“Pour ou contre la sélection”, “pour ou contre l’augmentation des frais d’inscriptions”, “pour ou contre les fusions d’universités” : nous ne voulons plus défendre “l’Université à la française” mais la détruire !
À terme, nous souhaitons que les universités d’Île de France sortent de l’isolement politique qui leur est imposé et deviennent de réelles parties prenantes, grâce à des alliances multiples, d’un mouvement général d’auto-défense des travailleurs·euses précaires, en emploi comme en formation.
NOS ACTIONS
Afin de prendre conscience de la réalité et de la diversité des problématiques spécifiques à chaque établissement, nous organisons des tables de doléances régulières, qui se tiennent une à deux fois par semaine, intra comme extra-muros. Elles permettent de se familiariser avec les différents terrains, de s’informer des situations problématiques, et d’établir sur place des liens avec les personnes concernées. Ces enquêtes ne se font pas sous couvert de neutralité, il s’agit au contraire pour nous d’arriver à déceler des lignes de conflits potentiels et construire un point de vue commun, un angle d’attaque depuis lequel mener des luttes.
Pour recueillir le plus de témoignages possible et avoir une vision plus large des problématiques rencontrées par les étudiant.e.s nous avons également créé un questionnaire en ligne ou chacun.e peut, quand iel le souhaite et anonymement, témoigner de sa situation. On ne veut pas avoir un aperçu parfaitement exhaustif, encore moins objectif, de « la condition étudiante », mais au contraire, on voudrait faire émerger des fractures dans cette catégorie faussement uniforme, les rendre audibles et agir à partir d’elles.
Ces démarches d’enquêtes permettent de comprendre les pressions multiples qui pèsent sur les étudiant.e.s en tenant compte de la diversité de leur situation (boursiers·ières, travailleurs·euses, à l’université, en apprentissage…) et nous permettent aussi de réfléchir collectivement à des moyens pour y répondre. Il s’agira de visibiliser la multiplicité des trajectoires sociales et politiques que masque bien souvent la catégorie “d’étudiant•e”.
Grâces aux témoignages recueillis, et après leur analyse, nous créerons des affiches et diffuserons des tracts pour mettre en avant des revendications récurrentes, autour desquelles un travail politique collectif est possible.
Nous inviterons à des réunions publiques sur chaque établissement. Lors de ces réunions, qui nous permettront de nous rencontrer et de maintenir des liens dans le temps, nous réfléchirons ensemble aux diverses problématiques et aux solutions/actions à y apporter.
Ainsi, la construction des modes d’actions fait partie intégrante de l’enquête. Il s’agit d’arriver au point où, les savoirs militants et les savoirs des personnes concernées quant à leur condition de travail ou d’étude s’alimentent mutuellement. Les pratiques de luttes se définiront donc avec les concerné•es, en autonomie des instances officielles.
L’objectif n’est pas de mieux gérer l’Université, par des petites améliorations grappillées par-ci par-là, mais de perturber réellement l’entièreté de son fonctionnement.