Sommet du G7 à Biarritz : ça passe ou ça casse ?

Du 24 au 26 août 2019 le G7 se tiendra à Biarritz. Depuis plusieurs mois, de nombreux groupes et organisations s’organisent pour accueillir accueillir comme il se doit les chefs d’État au coeur du pays Basque.

Cela ressemble à une séance d’échauffement avant le challenge. A notre droite, les services de l’Elysée, le préfet ainsi que le maire de Biarritz, s’évertuant à vouloir organiser l’événement dans les meilleures conditions. A notre gauche, les mouvances locales opposées au sommet qui préparent la réponse à leur façon, pressées elles aussi face à une échéance qu’elles estiment d’envergure.
On commence par montrer ses biceps de part et d’autre. Le G7 veut se refaire la devanture par un travail préalable enclenché auprès de ses alliés du coin potentiels et avérés : élus, chambre de commerce, conseil de développement, société civile.

Le camp adverse tente un exercice inédit : réunir, au sein d’une seule plateforme regroupant tout le Pays Basque, le maximum de structures en vue d’une campagne unitaire et coordonnée. Tout en se mettant en relation avec différents mouvements et milieux avec, pour mot d’ordre accepté, liberté d’action en évitant les concurrences stériles.

L’agitation va crescendo. A droite, on réchauffe les ardeurs après la douche froide du 18 décembre dernier [1]. Autre difficulté à surmonter, faire encore croire que ces spectacles hors sol ne se limitent pas à des effets d’annonce et/ou à la réaffirmation d’un credo pouvant virer au fiasco (à l’image du G7 2018 au Québec), dans une situation sociale coléreuse et explosive, en contradiction avec les fastes d’un tel rendez-vous.

A gauche, on se gratte le menton en sondant cette nouvelle pratique interne consistant à avancer ensemble. Devenir un référent majeur, en se demandant au passage quel bénéfice chacun retirera, avec la situation politique basque en toile de fond [2]. Autre difficulté, faire face à la grosse répression à venir tout en sachant marier intelligemment alternatives et résistances, contre sommets et espaces d’accueil, pour un résultat qui se voudrait réussi.

Une couche de plus sur les enjeux

De mémoire militante d’ici, c’est la première fois depuis des lustres qu’autant de groupes du nord et du sud de la frontière posent, autour d’une thématique générale et avec autant de déclinaisons, les bases d’un travail en commun. Un précédent important et intéressant. Les propositions et débats vont bon train, on se met d’accord sur des objectifs, des fonctionnements, un calendrier.

Ce coup-ci, tout le monde met un peu d’eau dans son vin et on a le sentiment de jouer gros. On ? A peu près tout le spectre de la mouvance indépendantiste et de gauche, les organisations françaises ayant pignon sur rue au Pays Basque et par ricochet, tous les équivalents et soutiens extérieurs. Gros ? Il s’agit quand même de vouloir empêcher voire de perturber la réunion de ceux qui se croient les maîtres du monde.

Au sein de cette plateforme « G7 non ! », le consensus prend donc pour l’instant le dessus, l’horizontalité ne marche pas trop mal et les commissions sont en route, bien que des craintes et des méfiances s’invitent régulièrement. Normal, direz vous. Ne cachons rien : chaque sensibilité a déjà eu affaire à son voisin et chez nous comme partout, les scissions, recompositions, tentatives d’hégémonies et autres trahisons font aussi partie du patrimoine. Dans ce jeu de reproches et de miroirs, rien n’est blanc ou noir.

Quelques exemples en rapport avec la campagne à venir : des nationalistes Basques trouvent que des nationalistes Français ne prennent pas assez leur réalité en compte ; des Français pensent que les Basques veulent prendre trop de place. Des radicaux autoproclamés du cru veulent en découdre avec le processus de paix enclenché par les instances de la gauche indépendantiste officielle ; les défenseurs de ce processus crient au loup, tout en sentant qu’une nouvelle croisée des chemins de la lutte est en train de se dessiner. Des pacifistes se voient noyés dans un maelstrom d’affrontements de la part de groupuscules exaltés ; des émeutiers dans un festival mou de partis avec qui il est difficile de composer, etc. Beaucoup de monde et de moyens, de parcours et d’envies à faire danser sur un même air.

Et sur nos tactiques

Alors, pour celles et ceux qui font le pari de l’unité, les calculs fusent. Comment rapprocher les multiples militances du Pays Basque dans une dynamique de cohésion (le temps d’un sommet ou au-delà) afin d’être bien efficaces ? Faire entendre toutes les voix, faire place à tous les courants ? Déplacer toutes les énergies vers Biarritz, des gilets jaunes aux secteurs politiquement identifiés de l’Hexagone et d’ailleurs ?

A cela s’insère un autre élément et non des moindres : Biarritz. Plus concrètement ses habitants. Veulent-ils vraiment de ce sommet ? A en croire leurs opinions, rien n’est moins sûr. Car tout n’est pas rose dans la cité balnéaire. La peur des violences policières et des « blacks blocs », le manque à gagner et les gênes occasionnées par les mesures de sécurité annoncées, sûrement le dégoût d’être associés de force à ce show inutile, la conjoncture appropriée pour certains conseillers municipaux pour se (re)faire la peau du maire… Alors, quelles liaisons opérer avec ce vent de fronde ? Et comment, dès maintenant, faire prendre l’eau à ce grand bateau du G7 qui va se servir de leur ville comme décor ?

Pour beaucoup de collectifs et personnes investis en Pays Basque, l’occasion est trop belle. A croire que les organisateurs officiels auraient malencontreusement choisi le lieu, la date. Dans les rangs de la contestation, on s’émoustille et on se rêve d’énormes mobilisations, rencontres, blocages, zbeuls, lendemains… Pêle-mêle : montrer à ces guignols du capitalisme de quel bois on se chauffe ; remporter, politiquement du moins, la bataille ; remettre la cause basque au devant de la scène ; poser des jalons pour des futures convergences ; s’auto affirmer en renforçant sa tendance…
En somme, rien n’est encore gagné, ni perdu. Toutes les perspectives sont ouvertes. Aux plus visionnaires de s’en servir, au mieux.

A la sauce toto

Pour les mouvances autogestionnaires et autonomes, des options s’imposent. Que préfère-t-on ? Faire cavalier seul, se mélanger aux autres, les deux ? La tentation grégaire réapparaît : pas besoin de prendre de pincettes avec des secteurs qualifiés de réformistes et autres bureaucrates, on appuie sur les blessures, le feu purifiera tout. Et là, la question à mille pavés : doit-on repartir pour un nouveau tour d’entre soi tout en distribuant des bons et des mauvais points ? En arguant que si ça capote c’est la faute des autres et que si ça réussit, on passe devant parce qu’on le vaut bien ?

Prétentieux mais pas forcément malin : quand Babylon s’abattra sur les warriors, que les forces vives de l’insurrection quitteront le champ de ruines pour s’en aller vers d’autres fronts, il n’y aura plus grand monde pour réclamer résolument leur sortie de prison, si ce n’est leurs amis. Dommage. Pour une fois que l’opportunité de favoriser la solidarité et l’appui aux interventions les plus variées se présente sous des horizons meilleurs…

Entre temps et en parallèle (ou en perpendiculaire), on essaiera de faire avancer un certain nombre de pratiques et d’idées, en pensant dénominateurs communs au lieu de clivages. C’est, entre autres, la suite logique de mises en place de réseaux comme celui Aman Komunak où les mots inclusion, respect, diversité ne veulent pas être que des mots. Une initiative qui a émergée à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes où l’on a vu, in situ, la puissance qu’a supposé l’empilement des idéologies et des moyens d’action, capables de repousser collectivement un projet d’aéroport international.

En ce qui nous concerne, il s’agit de s’y prendre d’une manière semblable. Tenter de construire en regardant l’ensemble pour le replacer dans le contexte, sans oublier le passé afin se mettre en mode long terme. Sans occulter les nuances ni les divergences, plutôt en leur offrant un espace de liaison. Sûrement pas en bradant les valeurs libertaires, encore moins en crachant dans la soupe des autres composantes, quelles qu’elles soient. C’est ce pari de la transparence et des complémentarités qui est plus fructueux, avec humilité et persévérance afin de solidifier les alliances, faire rayonner les débats. Et s’il y a un gâteau à se partager, qu’il le soit à parts égales. Une démarche lente, passionnelle, auto critique.

Amener le plus de monde, le plus loin possible, dans la contestation. La raison de combattre le G7 peut être très largement partagée, avec une visée simple : mettre un bon grain de sable dans leur machine, l’isoler et poser nos conditions, au delà du symbolique. Ajoutez à cela la capacité d’organisation d’une partie du peuple basque, ancrée dans un tissu dense de mille et unes expériences, qui n’en est pas à sa première bataille.
Vouloir alors envisager la riposte sur un imaginaire d’avant-garde romanesque est une erreur. Ben oui, l’union fait la force.

[1Le 18 décembre 2018, la venue du ministre Le Drian à Biarritz pour le lancement du G7 a provoqué une situation inattendue : bouclage du centre ville et charges policières, manifestants blessés, commerces fermés… Laissant un avant-goût âpre parmi les habitants, les élus locaux.

[2Pour faire court, la lutte basque (après un cycle de violence politique indépendantiste et de transformation sociale de plus de 50 ans pour faire face au franquisme et à l’intégration) opère un virage à 180° à partir de 2008, en pariant sur des voies dites démocratiques afin d’obtenir une reconnaissance territoriale et un déblocage de la situation des prisonniers et réfugiés politiques. C’est la stratégie dominante aujourd’hui, même si de plus en plus d’initiatives tendent vers un retour de la confrontation illégale.

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